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SAHARIENNES




Avant la route

Mourir dans le désert… Y renaître. S’y échouer, s’y abreuver. Adopter l’errance fluide du nomade aux semelles de vent, libre et inconstant, fidèle toujours à la nostalgie et la mélancolie, celle de la Badyia * qui partout l’accompagne… Badyia toujours quittée, regrettée, espérée, célébrée. Dans les salons maures, on badine autour des trois thés et on pratique le Futuwwa, l’amour courtois. Poésie et joutes oratoires, armes de charme. A l’ouest l’océan brise les hommes et les espérances. Là-bas sur la frontière du nord, la guerre se déclame à balles bien réelles.

Le désert ne se laisse pas facilement raconter, romancer, emprisonner. Il aspire au silence, à la méditation, à la contemplation… Refuge à ermites et à mystiques. Taiseux, il est rebelle aux mots. Pour le saisir, le définir, il faut user de subterfuges. Adopter le ton du récit, celui des aventuriers qui comme Isabelle Eberhart, René Caillé, Odette de Puigaudeau ou Théodore Monod s’y sont perdus pour mieux se retrouver ou du conte, celui initiatique du Petit prince. Sa traversée est toujours une épreuve, une quête, une transformation.

Dans les étendues de sable voyagent à dos de dromadaires, les « guelf » ou les « tal’a », petits poèmes qui rappellent les Haikus japonais par la concision des vers et la disposition des rimes, leur rythme et leurs mélodies qui les rend digne d’être récités par les griots et colportés à travers les territoires du milieu. Ils reflètent l’état d’âme du bédouin et son éthique, celle du campement toujours présent, toujours mouvant. Ils chantent les puits, les dunes, les caravanes, les légendes, les oasis, la passion toujours, le départ souvent, le cheminement dans les étendues hostiles, les rezzous, les combats, l’honneur et les regrets. Dans le désert, le sacré est présent dans le moindre grain de sable, vibrant, insaisissable. Courts instants de vie sans fioritures ni discours, comme des photographies instantanées, condensées d’universel dans quelques vers, récits, déambulations, désespérances… Sahariennes.

Alger 1993

Sur la ligne d’horizon le soleil déjà pointe

Les contours imprécis des collines de Kouba,

Le dernier mamelon du Sahel algérois…

Les enlacements cisèlent les ruelles,

les façades en briques de terre aux murs blancs peints à la chaux, les planchers en rondins de bois vermoulus et les mille terrasses qui plongent vers la mer.

A travers la Médina, Enti, te prendre par la main

Rejoindre la zaouia.

Boire à la fontaine aux carreaux en Fayence,

La source a le pouvoir, à condition de n’en ingurgiter que trois gorgées, d’apaiser les angoisses, les tracas et de féconder les femmes stériles.

Enti, ne vois-tu pas au loin, les chars qui avancent

Alger la Blanche, Enti, comme une évidence, une reconnaissance…


Adrar/ Mauritanie 90 th


Nomade


Mon dieu en qui je ne crois pas

S’il n’y a donc que du vide

Faîtes au moins qu’il se pare

De l’immensité du désert

De la langueur des femmes,

De l’humidité suave des oasis

De la sagesse des épopées

De la violence des Rezzou

De la désespérance buissonnière

De la passion de ton regard

Du feu qui brûle en moi la nuit derrière la dune

Mon dieu en qui je ne crois pas

S’il n’y a donc que du vide

Faîtes qu’il porte en moi

L’espoir de cet ailleurs

Qui pourrait

Un temps

Devenir ma maison

Avant de repartir, encore,

De repartir, toujours



Badya


Badya …

Badya… Mon chagrin… Ma peine

Badya infinie

Nostalgie



Racines


Je suis né près du puit, dans l’oued, souviens toi

Je suis né près du puit, l’année du grand torrent

J’ai grandi près d’ici au creux du campement

J’ai grandi près d’ici, le ciel pour unique toit

J’ai aimé Leila, l’été à la Guetna *

J’ai aimé Leila, toute une nuit dans mes bras

J’ai laissé notre terre Abou pardonne moi.

quitté Billaduna Oummi, ait pitié de moi

Âme soeur


Tu es l’homme qui marche

Aux semelles de vents

Guidé par les nuages

Et les poussières d’étoiles

Le parfum d’une femme

Ambré et entêtant

Là-bas derrière la dune une âme,

Soeur de lait, sœur de sang,

T’attend

Djinn


Servile, je me suis assise au pied de ta montagne

J’ai attendu longtemps

Et le jour et la nuit

Et l’hiver et l’été

Guettant tes sortilèges,

Tes mirages éphémères

Dessinant

Dans un espoir lointain

Sur les crêtes de Zarga

Un horizon flottant

Recueillant dans mes rêves, les présages des dieux

Djinn… Les Cauris l’ont écrit…

Malédiction

Déflagration


Maa’llema,


Maa’llema * vient dans ma maison,

vient dans ma prison

Je suis le fou, le Jnoun, le forgeron

Je suis celui qui sait.

Matières incandescentes

Maitre du fer.

Je suis le fou, le Jnoun, le forgeron

Celui qui corrompt

Amours avilissantes

Maître des chimères

Je suis le fou, le Jnoun, le forgeron

Je suis celui qui guide

Ames évanescentes

Maître des enfe


Voilés


Al Bilad al Sudan *

Les femmes marchent libres,

Le front haut, les yeux fiers

Les hommes portent le voile

Il masque haut le visage

Et vient cacher la honte

Venue des temps anciens

De ces guerriers sans gloire

Fuyant le campement

Devant les assaillants



Dévoilés


Plis et replis

Drapés sophistiqués

fluidité

Sur la commissure de tes lèvres

Grisées de poésie

La Melhfa *

Simule et dissimule

Joue et déjoue

Les émois de ton cœur

Cheikhna


Les chapelets psalmodient

Invoquent le plus grand

Le cheikh est annoncé, le cheikh va arriver

Âmes perdues et pèlerins,

Ils sont venus de loin chercher la baraka,

Du Trarza et du Hodt et même du grand Orient

Le cheikh est annoncé, le cheikh va arriver

Dans la dayra comme des derviches,

Les agneaux sur les broches tournent

Les agneaux sur les broches tournent

Les agneaux sur les broches

Comme des derviches dans la dayra

tournent

L’eau boue, les théières fument

Le pain crépite sous la cendre

Les Ulimas, intimes de Dieu

Ceux qui portent le Coran dans leur coeur

s’agenouillent

Chinguetti


Dans la pénombre de tes bibliothèques

Dans tes ruelles

Dans la mémoire des pierres

Luisant sous le soleil

Suintant les souvenirs

Aux pleurs des femmes

Aux puits des Caravanes

J’ai étanché ma soif

Près de toi enfin

Rompre avec l’errance

Renaissance


Oasis


Mektoub… C’est écrit.

Le destin oeuvre à plein.

La fatalité trace les routes.

Se mettre dans le sens de l’Harmatan, de l’Irifi,

Se faire légère…

Comme une plume

Se laisser porter…

Par les vents,

Abou, là d’où je viens

Les âmes

n’ont plus ce pouvoir de communiquer entre elles,

Les hommes

ne parlent qu’aux mondes visibles

Les synchronicités les plus troublantes n’évoquent rien à ceux qui les vivent.

Abou, sur ta terre brûlée, chaque homme, femme, enfant, âne et chien est à sa place

Immuable.

Ici, un homme seul est un homme mort…

Même les pierres, en solidarité

s’organisent

Havre d’humanité.

Oasis.



*La guetna est la période de la récolte des dattes dans l’Adrar, qui commence ici fin juin et dure jusqu'au mois d'août. On s’y retrouve, on s’y rencontre, on échange des serments d’amours…

*Littéralement la brousse. La badya est la terre natale, celle de l’enfance, du campement, celle des dunes, du puit et de l’herbe à chameaux.

*Dans la société castée mauritanienne, le forgeron ma’lmin, « celui qui sait », est méprisé car il fait partie de la basse caste. Il est le seul à pouvoir vivre du travail de ses mains et occupe les professions artisanales. Cependant il est craint, dans les Maa’llema, sa tente à l’écart des campements, il pratique l’art de la magie.

*La Melhfa dont le radical arabe signifie « couvrir » , « envelopper » est le voile traditionnel porté par les femmes sahraouies ou mauritaniennes. Sa qualité témoigne du statut social et la manière de le draper et d’en jouer, un puissant instrument de séduction.


* Al Bilad Al Sudan, signifie pays des Noirs, par opposition au pays des Maures blancs arabo-berbères de l'Adrar, appelés Beydane (bédouins)







Médusée

Deux chefs de bataillons,

Trois compagnies de quatre-vingt-quatre hommes,

Un lieutenant d’artillerie,

Un inspecteur des poudrières,

Deux instituteurs, deux curés, deux greffiers,

Deux directeurs d’hôpitaux

Deux pharmaciens et deux ingénieurs géographes,

Deux cultivateurs naturalistes, deux capitaines de port et même un explorateur.

Les chirurgiens étaient 5, les boulangers 4, les femmes 21, accompagnées de 8 enfants.

Il n’y avait qu’un médecin à bord,

un seul jardinier mais 40 canons.

365 passagers comme autant de jours dans une année s'étaient engagés.

125 voyageurs avaient été répartis entre la Corvette « l’Echo », La Flûte « La Loire », et le brick « l’Argus ».

240 prirent place à bord de « La Méduse ».

Et la première nuit, la tempête avait fait rage et ne semblait jamais vouloir faiblir.

Et le radeau était parti à la dérive, en proie à la violence des flots, aspiré par la noirceur de l’onde.

Et les barriques d’eau douce étaient tombées à la mer,

Et les naufragés étanchaient leur soif avec du vin.

Et seuls allaient pouvoir survivre à la violence de la mer ceux qui parviendraient à gagner le centre à l’emplacement du mât, la partie la plus solide de la structure : la machine.



Au Nord, la guerre

Tindouf 1990

Ton désert est sans sources, sans dunes, sans oasis

Ta terre aride et inhospitalière… Combattant,

Battue par un vent que tu appelles l’âadjaj

Le sol est gris, lunaire et infesté de mines

Sautera, sautera pas…

Sautera, sautera pas

Sautera… sautera.

Révolution


Claquent les portières des jeeps

Vert des treillis, cuivre des armes, cuir des rangers

Tes yeux

Mélodie lancinante de l’Ardin qui monte dans les dunes

Monticules mouvants, safranés, indociles

Ta peau

Pénombre sous la tente, clair-obscur, l’ouverture irradie

Ton cri

Dans les corps à corps des amants se brisent

Tant de révolutions


Combats


Ton front est une terre

Insoumise et rebelle

Austère et implacable

Murmures le long du mur

Derrière les forteresses

Et les ksars de la honte

Les guerriers désarmés

Se languissent.

Kenitra

Incrustées dans les pierres de la geôle,

Des silhouettes

Empreintes fossilisées, décharnées, humiliées,

Des bâtons gravés dans la roche

Dressés jour après jour attendent

Ta libération

Électricité, Chiffon, poulet rôti,

Ici, seules les tortures portent un nom

Kénitra, la prison du roi.

Tazmamart


Intimidation

Dire NON

Incarcérations

Années de plomb




Réfugiés

Dans des villages durablement provisoires.

Au bord de l’asphyxie, tu allais t’effondrer

Sur des matelas miteux, près d’autres rescapés

Frères d’infortune, de combats, de misères.

Ramper au ras du sol, discrets

Evoluer comme tous les exilés,

Sur une surface de quelques mètres carrés,

Par capillarité, tu pouvais ressentir la circulation d’une substance assez proche de la sève d’un arbre palpitant sous l’écorce qui se répand, irriguant profondément chaque fibre des organismes sous perfusion, comme un goutte-à-goutte dans un service de réanimation.

Entre les survivants, transitaient de manière ininterrompue et invisible des fluides corporels : sueur, salive, urines et sperme. Seules les larmes ne semblaient jamais vouloir franchir les frontières des corps ni les portes des camps.

Ici, jamais les enfants ne pleuraient, jamais les oiseaux ne chantaient.




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